David Jeker David Jeker

La variabilité de la fréquence cardiaque

Dans ce texte, je vous présente tout ce qu’il faut savoir au sujet de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC). L’accent sera mis sur les valeurs au repos et l’intérêt de celles-ci pour l’ajustement de l’entraînement. Je présente aussi mes recommandations quant aux meilleurs outils pour la mesure et pour le suivi. Ceux qui sont là pour des informations pratiques peuvent sauter l’introduction et aller directement aux recommandations. Pour ceux qui n’ont pas envie de lire tout ça, je résume plusieurs éléments dans ce coin du geek : 

Introduction

La VFC c’est quoi ?

La variabilité de la fréquence cardiaque, c’est la variabilité dans les intervalles de temps entre deux battements cardiaques. Un cœur qui bat 60 fois par minute ne battra pas exactement une fois par seconde. Cette variabilité nous renseigne sur la régulation autonome du cœur, c’est-à-dire l’effet du système nerveux sur celui-ci. Pour le sportif, il s’agit d’un indice de la capacité à supporter un entraînement et à s’y adapter.

C’est la variabilité des intervalles R-R qui nous intéresse

Plutôt que de faire le tour des types d’analyses possibles, je m’en tiens ici au RMSSD (root mean square of succesives differences). Ce marqueur de variabilité est le plus communément utilisé. Même si certains croient qu’il vaudrait mieux faire une analyse plus poussée ou suivre plusieurs variables, la réalité est que les outils de mesures les plus pratiques ont choisi de s’en tenir à cette variable unique. En français, il s’agit de la moyenne quadratique des écarts successifs. Concrètement, la différence en milliseconde entre la durée de chaque battement successif est mise au carré, puis la racine carrée de la moyenne de toutes ces valeurs donne le RMSSD. Nous obtenons ainsi une valeur en millisecondes qui est basé sur un calcul assez simple. Il est selon moi important de s’intéresser à cette donnée brute pour le suivi plutôt qu’à une quelconque valeur de readiness issu d’un algorithme complexe dont on ne connaît pas les fondements.

Système nerveux

La valeur nous renseigne sur l’influence du système nerveux sur le rythme du cœur. Plus il y a de variabilité dans le temps entre les battements, plus la valeur du RMSSD sera élevé ce qui correspond à une activité parasympathique plus forte. Inversement, une valeur plus basse indique une stimulation sympathique plus forte, c’est-à-dire un stress plus grand. Bref, une valeur plus élevée indique un état de conservation et de restauration ce qui est généralement considéré comme positif. Il faut tout de même faire attention à l’interprétation puisqu’une influence parasympathique trop importante peut aussi être un signe de surentraînement. Les valeurs varient grandement d’une personne à l’autre, il faut donc les considérer en relation avec les valeurs normales individuelles.

Effet de l’entraînement sur la VFC

On s’attend à voir la VFC de repos diminuer suite à une journée d’entraînement intense, alors que la valeur devrait s’élever suite à un entraînement à intensité plus faible, sous le premier seuil métabolique. Ces différences pourraient justifier en partie le recours à un entraînement polarisé pour optimiser les adaptations à l’entraînement.

Il s’agit donc d’un bon marqueur pour ajuster la charge d’entraînement ou la distribution des intensités. Par exemple, pour savoir si l’ajout d’une séance d’intensité supplémentaire dans la semaine est justifiable ou si l’entraînement global est suffisant ou trop chargé. Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’une journée de repos complet peut souvent avoir un effet moins bénéfique qu’un entraînement facile sur la variabilité. Aussi, il est assez commun de voir la valeur baisser à l’approche d’une compétition lorsque la charge d’entraînement est réduite. Cette diminution du RMSSD n’est pas nécessairement mauvaise, surtout qu’il est parfois difficile de se pousser au maximum quand l’activation parasympathique est trop grande. Je rappelle qu’il faut voir la VFC de repos comme un marqueur de la capacité à s’adapter à l’entraînement, plutôt qu’un indice de l’état de fraîcheur. Plutôt que de chambouler comblètement votre planification, vous pouvez aussi ajuster la séance d’intervalles prévu en faisant plus ou moins de répétitions. En d’autres mots, profiter d’une capacité supérieure à supporter l’entraînement (variabilité plus grande) pour vous infliger une plus grosse séance et, inversement, réduire le nombre de répétitions si vous êtes déjà dans un état stressé (variabilité plus basse).

Cap de Formentor, rien à voir avec la VFC, mais une balade mémorable

D’autres facteurs peuvent avoir un impact sur la VFC de repos. Par exemple, la consommation d’alcool qui a souvent un effet très négatif sur la valeur ce qui concorde avec un possible effet délétère sur la capacité à supporter l’entraînement. Le suivi de la VFC de repos permet justement d’intégrer d’autres facteurs de stress et d’éviter de considérer uniquement l’entraînement dans l’équation. L’entraînement en altitude est un contexte dans lequel l’ajustement de la charge selon la VFC de repos est particulièrement intéressant. Je garde cette thématique pour un futur billet au sujet de l’altitude.

Différents moments de mesure

Il est possible de mesurer la VFC à n’importe quel moment, mais dans un contexte de prescription d’entraînement les mesures nocturnes ou matinales sont les plus pratiques puisqu’elles permettent d’ajuster l’entraînement prévu le jour même. La plupart des études s’intéressant à l’utilisation de la VFC dans un contexte de suivi de l’entraînement sont basées sur des mesures matinales. Certains spécialistes, dont Marco Altini, le fondateur de HRV4Training, préfèrent cette méthode justement parce que la mesure se fait loin de la dernière séance d’entraînement de la veille. À leurs yeux, la valeur obtenue renseigne sur l’état d’un athlète à supporter l’entraînement prévu le jour même plutôt que de refléter l’effet de l’entraînement précédant. Le désavantage d’une mesure matinale est que la durée d’enregistrement plus courte (généralement de 1 à 5 minutes) fait en sorte qu’une imprécision dans la mesure aura un effet plus grand sur le résultat. Il est d’ailleurs courant d’utiliser la moyenne des 7 derniers jours lors d’un suivi de la VFC matinale pour limiter l’impact d’une possible erreur de mesure. La mesure durant le sommeil permet quant à elle d’avoir une moyenne pour plus de 6 heures d’enregistrement. De plus, la mesure est faite durant le sommeil, donc dans un état de repos contrôlé. Nous nous attendons donc à moins de valeurs aberrantes, ce qui donne confiance en l’exactitude de la valeur quotidienne. Il est vrai que l’entraînement de la veille aura possiblement un effet plus marqué sur celle-ci, mais à mes yeux, la valeur est encore plus pertinente ainsi. La mesure durant le sommeil est seulement possible de manière pratique depuis l’avènement de nouveaux outils permettant la prise automatique d’une telle mesure.

Différents outils, moments et méthodes de mesure = différents résultats

Recommandations

Mesure durant le sommeil

La mesure durant toute la nuit, comme le font GarminOura et Coros me semble la plus intéressante. Concrètement, la valeur de RMSSD quotidienne correspond à la moyenne de tous les segments de 5 minutes (ou 10 minutes pour Coros) de sommeil continu durant la nuit complète. Que ce soit pour mes données personnelles ou pour des études récentes, la corrélation entre la charge d’entraînement aigue ou le ratio aigu:chronique et cette VFC nocturne est très bonne, meilleure qu’avec la VFC matinale. Comme la bague Oura vient avec un abonnement mensuel et que son coût d’achat (à partir de 400$) est lui-même équivalent à celle d’une montre, je vous recommande d’opter pour une montre. À ma connaissance, le modèle le moins cher mesurant la VFC durant le sommeil est la Coros Pace 3 qui est vendu 329$. La Garmin Forerunner 165 est aussi une option abordable. La bague devient intéressante si vous ne voulez pas dormir avec une montre ou si vous n’avez pas besoin d’une montre GPS pour votre pratique sportive. Même si seule la mesure de la bague Oura est validée scientifiquement, mes données personnelles indiquent que les montres Garmin et Coros donnent des valeurs pratiquement identiques. Les petities différences quotidiennes sont probablement dû à des différences dans la détection du sommeil. Finalement, même si je reconnais ici qu’une mesure de fréquence cardiaque au poignet est suffisament précise pour quantifier la VFC, la précision durant l’exercice est bien moins bonne. En courant, il vaut mieux porter une sangle à la poitrine ou au bras

Garmin et Oura : même méthode, donc presque le même résultat.

Alternative

Pour ceux qui n’ont pas quelques centaines de dollars à dépenser pour une nouvelle montre ou une bague, une mesure matinale avec une sangle de fréquence cardiaque et une application mobile reste une bonne alternative. Je recommande d’utiliser l’application Kubios HRV qui est gratuite pour une utilisation personnelle. Pour la sangle cardiofréquencemètre, la plupart des modèles récents mesurent l’intervalle entre les battements et sont donc compatibles. Si vous devez vous en procurer une, la Polar H9 (90$) est une excellente option et vous pourrez aussi l’utiliser avec votre montre durant l’entraînement. Je vous recommande de prendre une mesure d’au moins 2 minutes avec 30 secondes de relaxation avant et de prendre la mesure au réveil, couché, après être allé aux toilettes. Il est important d’éviter les mouvements, les bruits ou toutes distractions durant la mesure.

Meilleure option pour le suivi

Même si je recommande une montre Garmin pour la mesure, l’utilisation de Garmin Connect pour le suivi n’est pas idéale. Surtout parce que la moyenne de la dernière semaine est utilisée comme valeur principale. Comme mentionné précédemment, cette méthode est logique quand il est question de suivre des enregistrements de VFC de courte de durée mesuré le matin, mais un tel lissage des données serait inutile quand la mesure est déjà une moyenne prise sur plusieurs heures. Je préfère donc utiliser Intervals.icu, le logiciel que j’utiliser aussi pour le suivi l’entraînement. Il est alors possible de créer son propre graphique personnalisé pour le suivi. Le mien est public et disponible sur mon profil. Il met l’accent sur la donnée quotidienne tout en la comparant aux données normales (plus ou moins un écart type des 42 derniers jours). J’ai aussi ajouté une ligne de tendance à court terme (7 jours), mais celle-ci correspond à la moyenne mobile exponentielle, donc elle donne plus d’importance aux valeurs les plus récentes, même principe que pour la charge d’entraînement aigue (ATL).

Graphique de suivi du HRV avec le temps dans les zones d’entraînement en-dessous

En utilisant une montre Garmin ou une bague Oura, vos données seront automatiquement transférées vers Intervals. Avec Kubios, il faut prendre le temps de transcrire la donnée. Dans tous les cas, j’aime avoir le graphique du temps quotidien passé dans les différentes zones d’entraînement immédiatement en-dessous du graphique de VFC pour visualiser aisément l’effet d’une journée intense ou volumineuse sur la valeur de VFC de repos du lendemain.

Conclusion

La VFC de repos permet d’avoir un aperçu de la réponse d’un athlète à la charge d’entraînement et peut aider à apporter les ajustements nécessaires. Évidemment, le ressenti et les perceptions de l’athlète doivent demeurer au cœur des ajustements. Le suivi de la VFC de repos est justement utile pour poser (ou se poser) les bonnes questions et permet d’éviter le piège de simplement toujours vouloir en faire un peu plus. Bon entraînement!

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