Repousser ses limites : ma vision de la performance mentale pour l’ultra-endurance

 Dans cet article, je vous présente comment j’intègre la composante mentale à la performance en endurance. Une approche d’abord réfléchie pour l’ultra-endurance, mais qui peut aussi s’appliquer à des épreuves plus courtes. Je précise qu’il s’agit de ma vision et que celle-ci repose bien plus sur mes expériences d’athlète et d’entraîneur que sur la  littérature scientifique. Aussi, je ne possède aucune certification en préparation mentale. J’ai tout de même fouillé un peu pour voir ce que la science nous dit, mais comme vous verrez, je n’ai pas trouvé grand-chose qui me semblait pertinent. Dans tous les cas, avant de discuter de préparation à la performance, il faut d’abord s’attarder à la performance elle-même.

 Le modèle psychobiologique de la performance est mon favori. Il postule que la régulation consciente de l’allure est déterminée par les cinq facteurs suivants:

  • La perception de l’effort;

  • La motivation potentielle;

  • La connaissance de la distance ou de la durée totale à parcourir;

  • La connaissance de la distance ou de la durée restante à parcourir;

  • Les expériences précédentes en termes de perception de l’effort pour des exercices de différentes intensités ou durées.

 Selon ce modèle, la motivation potentielle détermine l’effort maximal qu’un individu est prêt à fournir pour atteindre un objectif. La composante physiologique est en quelque sorte incluse dans la perception de l’effort puisqu’on considère que nos sensations nous permettront de savoir assez précisément l’effort qu’il est physiologiquement possible de maintenir pour parcourir la distance restante. C’est bien beau sur papier, mais pour avoir souvent fait confiance à mes sensations en compétition, je sais que ça ne se termine pas toujours bien. Mes réflexions m’ont amené à un modèle simplifié, pour lequel la gestion consciente de l’effort est déterminée par :

 Ce modèle plus simple suffit à expliquer la performance, du moins selon ma vision de celle-ci. Même si la psychologie ne semble pas y prendre beaucoup de place, il faut tout de même savoir rester dans le moment présent et, surtout, avoir confiance en soi. Pour nous aider à rester dans le moment présent, mettre en œuvre la pleine conscience peut être utile. Cette pratique veut que l’on soit l’observateur de ses pensées et de ses émotions. Il est alors possible de choisir l’importance accordée à celles-ci. Cela permet d’éviter de se laisser influencer par des pensées négatives et d’accepter les situations telles qu’elles sont. De toutes les méthodes de préparation mentale, c’est celle qui me semble la plus pertinente pour l’ultra-endurance. Pas besoin d’en faire une pratique très rigoureuse ou méthodique, la pleine conscience se pratique très bien au quotidien de façon informelle. Dans un contexte de performance et selon le modèle que j’ai présenté, le plus important est de ne pas anticiper le futur. L’état dans lequel vous êtes à un moment donné d’une course ne devrait pas être utilisé pour estimer celui dans lequel vous serez plus tard dans la même course. Après tout, quand la course est suffisamment longue, il est toujours possible de rebondir d’un mauvais moment.

Même sur un effort d’environ une heure, j’aime bien garder un oeil sur ma fréquence cardiaque. 

 Concrètement, les écrans sur votre montre peuvent influencer cet état. Afficher des éléments vous renseignant sur ce qui se passe actuellement comme votre fréquence cardiaque peut vous aider à rester dans le moment. La distance parcourue ou le dénivelé accumulé peuvent vous faire penser à ce qu’il reste à faire et vous sortir du moment présent pour vous projeter dans le futur. Personnellement, en situation de compétition, je mets l’accent sur la fréquence cardiaque sur mon écran principal avec aussi un indicateur de vitesse (allure ou vitesse verticale selon le profil de la course). Si j’ajoute le temps écoulé, c’est seulement pour m’assurer de respecter ma stratégie nutritionnelle (au cas où je n’entendrais pas les alarmes qui me rappellent de m’alimenter).

 À mon avis, le fait d’avoir un objectif bien défini peut aussi vous sortir du moment présent. Alors que la fixation d’objectifs est souvent considérée comme un élément essentiel de la préparation mentale, je crois qu’il faut en reconsidérer la pertinence. Certains auteurs distinguent les objectifs de résultats des objectifs de processus. Ce sont surtout les objectifs de résultats qui m’embêtent, mais je crois aussi qu’il vaut mieux considérer chaque objectif de processus comme un plan à respecter. Par exemple, l’objectif de consommer 100 grammes de glucides par heure est simplement un plan nutritionnel alors que l’objectif de maintenir une certaine allure ou de rester dans une certaine zone de fréquence cardiaque est un plan de gestion de l’effort. Formuler un plan sous forme d’objectif ouvre la porte à ne pas suivre (ou atteindre) celui-ci, alors qu’un plan bien conçu (réfléchi et testé) est simplement fait pour être suivi. C’est là que la confiance, en soi et en son plan, prend toute son importance. Il n’est pas facile de laisser de côté ses émotions pour suivre un plan, mais il suffit d’une course réussie pour se convaincre. Il faut ensuite faire attention à ce que la confiance ainsi acquise ne se traduise pas en une confiance d’obtenir un certain résultat. Encore une fois : il faut à tout prix éviter d’avoir des attentes. Comme je l’avais écrit dans un autre billet : « …ceci constitue possiblement l’élément central de toute cette discussion : le fait d’attendre ou non quelque chose en retour de notre passion. Il faut être naïf pour croire que le sport qu’on aime tant puisse nous aimer en retour, mais qui n’a jamais fait preuve d’une telle innocence? Ne serait-ce qu’en s’imaginant les émotions, si chères au cœur, que nous espérons vivre pendant une course? Et pourtant, l’issue n’est pas toujours celle tant espérée. Combien de fois faudra-t-il se briser le cœur pour comprendre? Même dans un grand jour, nul n’est à l’abri d’une défaillance, d’une blessure ou d’un détour hors parcours. Même une bonne performance peut être réalisée sans vraiment ressentir d’émotions positives, le genre de performance robotique qui donnerait raison à ceux qui osent nous traiter de machines. Bref, en mettant de côté les objectifs, on peut aussi éviter de tomber dans le piège d’avoir des attentes et de vouloir que les événements arrivent comme nous les souhaitons, plutôt que de les accepter comme ils arrivent. »

 Évidemment, même avec un bon plan bien conçu, nul n’est à l’abri des pépins. Dans certaines circonstances, il faudra ajuster un peu son plan. Pour un ultra, les deux plans indispensables sont le plan nutritionnel et le plan de gestion de l’effort. Ces deux plans sont les plus sujets à l’ajustement. Toutefois, je ne crois pas qu’il soit raisonnable d’envisager tous les scénarios possibles et de systématiquement préparer un plan B, C, D, etc. Il vaut mieux s’en tenir au plan, et c’est seulement lorsque celui-ci est absolument impossible à respecter qu’il devient pertinent d’apporter les modifications nécessaires. Avoir un plan B, c’est ouvrir la porte à ne pas respecter son plan. En plus des plans pour la nutrition et l’intensité, il est possible d’avoir des plans pour l’équipement (bâtons, frontale, chaussures, etc.), et pour les épreuves plus extrêmes : un plan pour la gestion du sommeil. Ce dernier aura évidemment un impact important sur votre performance, mais ce sujet mérite son propre texte.

 Une autre technique populaire en préparation mentale est celle de la visualisation (ou imagerie). Il y a énormément de recherches sur le sujet, même en sport. À mes yeux, sa pertinence est certainement plus importante pour les sports qui comprennent des gestes techniques ou des décisions tactiques. Lors d’un ultra-trail, il faut savoir s’adapter aux conditions ainsi qu’aux obstacles qui peuvent se retrouver sur notre chemin. Toutefois, je ne crois pas que de s’être imaginé une situation similaire dans ses plus fins détails vous aidera à trouver une solution. Vos expériences antérieures réelles et les conseils d’autrui (entraîneur, équipe de soutien, autres coureurs, bénévoles, etc.) ont bien plus de chances de vous aider. Je n’ai rien contre le fait de s’imaginer des choses qui pourraient se produire en course lors de vos entraînements, mais je ne crois pas qu’il vaille la peine d’aller au-delà de ces rêveries et d’ajouter une certaine structure ou méthode à tout ça. Les rares études sur l’imagerie et son effet sur la performance en endurance n’ont pas su me convaincre, surtout que la performance est souvent mesurée avec des protocoles très peu spécifique aux efforts prolongés. C’est une situation assez commune en science de l’activité physique : pour contrôler un maximum de variables, la performance en endurance est souvent mesurée avec des protocoles de temps à l’épuisement (time to exhaustion) plutôt que des contre-la-montre (time trial). Le participant ne gère donc pas son allure, mais doit simplement supporter une allure le plus longtemps possible. Dans un tel contexte, une méthode comme l’imagerie dissociative pourra certainement être bénéfique puisque l’athlète se distance de l’effort et de ses émotions. Toutefois, lorsque la performance dépend d’une gestion consciente de l’allure, ne vaudrait-il pas mieux être concentré sur son effort? Ou mieux encore, être concentré sur les variables pertinentes à la gestion de son effort? C’est certainement mon avis. Bon courage!


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La variabilité de la fréquence cardiaque